Ida Lupino, Bio et Photos
" Ida Lupino est la fille de l'acteur et scénariste Stanley Lupino et de la vedette de music-hall Connie Emerald, la nièce des acteurs Lane et Wallace Lupino. Elle épouse l'acteur Louis Hayward en 1938, l'écrivain-producteur Collier Young en 1948 et l'acteur Howard Duff en 1955.
Ida Lupino écrit sa première pièce à l'âge de sept ans. A treize ans, elle entre à la Royal Academy of Dramatic Arts de Londres. Son père, Stanley Lupino, lui construit alors un véritable théâtre à domicile. L'année suivante, elle part en tournée à travers l'Angleterre et se fait remarquer par le réalisateur Allan Dwan, qui lui offre le rôle principal de Her first affair (1932).
Si Ida Lupino n'a jamais été considérée comme une star à part entière, elle est une célébrité marquante du cinéma américain, inoubliable tant pour ses brillantes interprétations que pour ses réalisations ambitieuses. Les noms des réalisateurs Henry Hathaway (Come on marines !, 1934), Rouben Mamoulian (Le Joyeux bandit, 1936) ou Raoul Walsh (Artistes et modèles, 1937) jalonnent les premières années de sa carrière. Après sa période de jeune première, elle rencontre le succès avec le rôle de Bessie dans le mélodrame La Lumière qui s'éteint (William A. Wellman, 1939). Elle décroche un contrat à la Warner, où elle va s'imposer dans des compositions dramatiques et des interprétations d'aventurières. Elle obtient des rôles clés dans un film de Michael Curtiz, Le Vaisseau fantôme (1941) et deux films de Raoul Walsh avec Humphrey Bogart, Une femme dangereuse (1940) et La Grande évasion (1941). L'année suivante, elle remporte le prix de la meilleure actrice pour The Hard way (Vincent Sherman, 1943). Au sommet de sa carrière, elle refuse un rôle que lui propose la Warner et est suspendue.
Sa profession d'actrice est à nouveau bouleversée quand, en 1949, appliquée à écrire le scénario de Avant de t'aimer, le réalisateur Elmer Clifton est victime d'une crise cardiaque. Elle se charge seule de réaliser le film. Evoquant le problème des filles-mères, elle se découvre alors un nouveau talent. Libérée de la pression des studios grâce à sa propre société de production, The Filmmakers, elle réalise six films entre 1949 et 1954, abordant des sujets scabreux et rarement traités dans les années 1950, comme la poliomyélite (Faire face, 1950), le viol (Outrage, 1950), la bigamie (The Bigamist, 1953) ou le kidnapping (The Hitch-hicker, 1954). Dans des décors réels et avec des comédiens inconnus, ses portraits de femmes passives et désorientées provoquent l'ire des associations féministes. Après la faillite de sa maison de production, elle interrompt sa carrière de réalisatrice. En 1955, elle est à nouveau l'actrice dans La Cinquième victime (Fritz Lang, 1955). Elle revient à la réalisation en 1966, pour diriger la comédie The Trouble with Angels.
Dans les années 1940, Ida Lupino devient actrice de radio à la Silver Theatre. En 1949, elle fonde la société de production The Filmmakers avec son mari, Collier Young. Elle est la scénariste de Ici brigade criminelle (Don Siegel, 1953). Avec Howard Duff, son dernier mari, elle coproduit et réalise de nombreux épisodes de séries TV notamment : Les Incorruptibles, Alfred Hitchcock, Le Virginien, La Quatrième dimension, Le Fugitif, Ma sorcière bien-aimée, et des moyens métrages policiers, comme Wanted for murder, qu'elle dirige et interprète. En 1953, elle fait ses débuts à la télévision, où elle tiendra plus d'une vingtaine de rôles. Après 1955, elle contribue à l'animation d'une émission de télévision, Four star playhouse et dans les années 1960, elle joue dans des séries comme Sergent Anderson, ou Les Rues de San Francisco. Egalement musicienne, elle compose The Aladdin's.
Meilleure interprétation féminine, 1943 au New York Film Critics Circle Awards pour le film : "The Hard way" "
La cinémathèque française
" Le festival Lumière rend hommage à Ida Lupino, actrice et réalisatrice à fleur de peau. Pour l'occasion, nous avons demandé au critique et cinéaste Pierre Rissient de nous parler d'elle.
« Une belle brune bien balancée. Elle n’a rien d’un mannequin. C’est une petite souris malicieuse. » Dans Bigamie (1953), écrit et réalisé par Ida Lupino, c’est en ces termes que le mari (Edmond O’Brien) décrit à sa femme (Joan Fontaine) le physique sa maîtresse, jouée par… Ida Lupino herself. Martin Scorsese, lui, propose un autre portrait de cette actrice, cinéaste, scénariste et productrice de l’après-guerre : « De l’extérieur, elle était dure, fermée, belle avec des allures de garçon, mais ses yeux sombres étaient des fenêtres ouvertes sur une passion brûlante. »
Pionnière du cinéma indépendant américain, l’auteure du Voyage de la peur joua d’abord la comédie chez Raoul Walsh, Nicholas Ray, Robert Aldrich ou Fritz Lang, avant de s’imposer en tant que réalisatrice dans un milieu dirigé par des hommes. Entre 1949 et 1953, elle réalise six films à fleur de peau sur les pires tabous de l’époque : le viol (Outrage), l’adultère (Bigamie), la maladie (Faire face)… Son cinéma empathique n’a pourtant rien de désespérant : au cœur de la détresse, Ida Lupino fait jaillir l’espoir et la vie. Livrant, au passage, de poignants portraits de femmes blessées et combatives, aux antipodes des créatures vaporeuses made in Hollywood.
Aujourd’hui, son œuvre reste rare et méconnue (en France, seuls deux de ses films sont sortis en DVD). Au festival Lumière, qui lui rend hommage, l’un de ses plus ardents admirateurs, le critique, cinéaste, grand cinéphile Pierre Rissient, se souvient de cette réalisatrice « écorchée vive ».
Quand avez-vous découvert Ida Lupino ?
J’étais très jeune cinéphile quand je l’ai vue pour la première fois : c’était dans Une femme dangereuse, de Raoul Walsh, au Mac Mahon. C’était une actrice très impressionnante, que j’avais aussi beaucoup aimée dans Prison de femmes. Quant à son travail de cinéaste, je l’ai découvert plus tard, à Bruxelles, où sortaient certains films américains inédits en France. C’était le cas de Hard, fast and beautiful (Jeu, set et match), son quatrième film. J’ai été estomaqué par ses qualités de mise en scène.
Mon second coup de foudre a eu lieu à Londres en 1958, quand j’ai vu Not wanted, sorti en France huit ans auparavant sous le titre Avant de t’aimer. C’était son premier film, tourné en 1949, et à mon avis le meilleur. En France et en Amérique, il avait rencontré un vrai succès populaire. J’étais tellement bluffé par son talent qu’à partir de là, j’ai fait le maximum pour suivre son travail. Ce qui n’était pas une mince affaire…
Quelle actrice était-elle ? Elle se surnommait elle-même « la Bette Davis du pauvre » …
Oui, j’ai lu ça quelque part, mais je ne suis pas d’accord. C’est vrai que, comme Bette Davis, ses rôles étaient dramatiques voire névrotiques, des rôles de femmes dangereuses ou malheureuses, mais elle n’avait pas du tout le même âge, Ida Lupino était une jeune actrice dans sa vingtaine, et surtout, elle était très séduisante. Elle a commencé à tourner en Angleterre avant de s’installer à Hollywood. Là, elle a un peu travaillé pour la Paramount puis à partir d’Une femme dangereuse, sa carrière a décollé.
Qu’est-ce qui l’amène à réaliser des films ?
Dans l’Amérique puritaine où elle vivait, le sort des filles-mères et de leurs enfants était très dur : ils étaient rejetés, déclassés. Ida Lupino s’en est ému et elle a voulu en parler, à sa façon. C’est comme ça qu’est né Avant de t’aimer. Le film est signé Elmer Clifton, un vieux routier, ancien assistant et acteur chez Griffith, mais sur le tournage, c’était Ida le patron. A l’époque, sans être une super vedette, elle avait quand même gagné beaucoup d’argent en tant qu’actrice. Elle a financé son film toute seule, ce qui était rarissime à l’époque. Avant de t’aimer a coûté 50 000 dollars, il en a rapporté 1 million. Ce succès a poussé Ida Lupino et son mari à fonder leur propre société de production, The Filmmakers. Mais très vite, en 1953 ou 1954, la boîte capote.
Quels sont ses thèmes de prédilection ?
Dans Outrage, elle aborde le viol, dans Faire face, le personnage féminin est atteinte de la polio et Jeu, set et match raconte l’histoire d’une championne de tennis tyranisée par sa mère, qui veut la voir réussir à tout prix… Ce sont des sujets très sombres mais ça m’ennuie de les énumérer comme cela car ses films sont tout sauf des films à thème ou à thèse. Ce qui rend son cinéma prodigieux, c’est précisément le contraire : l’attention portée aux personnages, l’élan, la générosité, la tendresse, la vulnérabilité qui s’en dégage. Et quel style, fait de naturel et d’innocence ! Ida Lupino a un sens inné de la mise en scène. Elle avait le don.
Quelles étaient ses influences ?
Elle m’a dit avoir beaucoup appris des metteurs en scène pour qui elle avait joué, Walsh en premier lieu. Elle s’entendait aussi très bien avec Fritz Lang, Don Siegel, William Wellman. Les gens l’adoraient. Elle était pour eux un véritable compagnon de route.
Et sa postérité ?
Ses films ont été très peu vus, il y a des problèmes de droits qui compliquent les choses, les copies sont peu nombreuses et en mauvais état. D’où l’importance qu’un festival comme Lumière lui consacre une rétrospective. C’est aux cinéphiles d’entretenir la flamme. Ida Lupino n’a pas fait de petits mais son cinéma est résolument moderne. Par sa justesse, sa fluidité et son humanisme.
Pourquoi a-t-elle fait si peu de films ?
En 1953, elle s’arrête de tourner pour le cinéma parce que ça ne marche pas. La Fox, la Warner ou la Paramount n’avaient nullement l’intention d’engager une réalisatrice qui enchaînait les échecs. A partir de là, elle réalise des épisodes de feuilletons et quelques dramatiques pour la télévision. Gena Rowlands lui doit d’ailleurs l’un de ses tout premiers rôles, bien avant Cassavetes. En parallèle, elle poursuit sa carrière d’actrice. Mais pendant au moins vingt ans de sa vie, Ida Lupino a été affaiblie par la maladie et l’alcool.
Racontez-nous votre rencontre …
Lors de mon premier voyage à Hollywood, en 1964, elle figurait sur la liste de ceux que je voulais absolument rencontrer, entre Raoul Walsh et Leo McCarey. J’ai effectivement rencontré ces deux-là, ce qui n'était déjà pas mal, mais j’ai échoué à établir le contact avec Ida. Deux ans plus tard, en allant rendre visite à Don Siegel dans son bureau d’Universal, je croise Collier Young, qui avait été le mari et le collaborateur de Lupino. Tentant ma chance, je lui pose la question : serait-elle d’accord pour une entrevue ? En guise de réponse, il prend son téléphone, l’appelle et rendez-vous est pris pour le lendemain, midi, à l’El Padrino, un bar d’hôtel de Los Angeles. J’étais heureux. J’arrive au rendez-vous à midi moins dix, Ida Lupino était déjà là, et tout de suite, je me rends compte qu’elle a déjà beaucoup bu. Je m’assieds mais elle me demande de me mettre du côté de sa bonne oreille, l’autre ayant été atteinte par un début de polio contractée à 15 ans. Je change de place, elle me fait répéter, je crains que ce soit à cause de mon accent… Au bout d’un moment, elle me dit : « Vous savez Pierre, tout cela est de ma faute. J’étais tellement émue de rencontrer un jeune cinéphile français aimant mes films, que j’ai passé la matinée à boire… » Quelques années plus tard, je l’ai revue chez elle, un petit appartement d’un quartier modeste de Los Angeles. Ce fut une belle après-midi.
Quel est votre film préféré d’Ida Lupino ?
Not wanted. C’est un film magnifique où l’on sent battre son cœur. Quand on me demande mes dix films favoris, je le mets toujours dans la liste. Avec l’espoir d’inciter le public à le découvrir enfin … "
Propos recueillis par Mathilde Blottière
Publié le 16/10/2014 pour Télérama Cinéma